Le discours moralisateur hérité de Rousseau.

Troisième partie :  L’AMOUR  FORCE.



Chp I  LE  DISCOURS  MORALISATEUR  HERITE  DE  ROUSSEAU.

 
 
 

. Sophie : la femme idéale : épouse d’Emile, mère de ses enfants = « femme idéale imaginée par Rousseau pour être la compagne de l’homme tel qu ‘il le rêvait ». Comment définit-il la « nature féminine » ? Faible, passive, « faite spécialement pour plaire à l’homme », relative et complémentaire, aliénée par et pour l’homme, prête à vivre par et pour l’enfant.                            

 

1. éducation de la future épouse et mère :  « suivre la voie tracée par la nature. Puisque la femme est « naturellement » le complément, le plaisir et la mère de l’homme, l’éducation poursuivra ces trois buts, créant de toutes pièces une « nature » féminine adéquate ». Pour Rousseau « la recherche des vérités abstraites et spéculatives … tout ce qui tend à généraliser les idées n’est point du ressort des femmes ». Qu’elle apprenne à tenir l’aiguille, faire du dessin, se limite aux tâches pratiques. Il poursuit : « j’aimerais encore cent fois mieux une fille simple et grossièrement élevée qu’une fille savante et bel esprit qui viendrait établir dans la maison un tribunal de littérature dont elle se ferait la présidente. Une femme bel esprit est le fléau de son mari, de ses enfants, de ses valets, de tout le monde . De la sublime élévation de son beau génie, elle dédaigne tous ses devoirs de femme ». Ce dressage doit lui apprendre que « la dépendance est un état naturel aux femmes », sans oublier cette « docilité dont les femmes ont besoin toute leur vie puisqu’elles ne cessent jamais d’être assujetties aux hommes ». Enfermées dans leur maison, comme dans un couvent, elles incarnent la figure de la « sainte ».

 

2. les filles de Sophie : puisque, femme = épouse + mère, et que la maternité, réponse à la  vocation de mère, est conçue comme un sacerdoce, un sacrifice, elles doivent apprendre à supporter la souffrance.

 

3. la mère idéale : le personnage de Renée de l’Estorade, dans les Mémoires de deux jeunesmariés de Balzac. «  Renée appartient à la race des femmes qui ont tout investi dans la maternité parce que celle-ci représente leur seule « consolation » dans une vie sans passion, sexualité ou ambition ». Faite pour être mère / Bonheur du dévouement / Accouchement et masochisme / Allaitement / Mère-enfant : couple de rêve / Education complète / Pas un instant question du mari / « une vraie mère n’est pas libre » / Unique condition du bonheur de la mère : celui des enfants.

 

Mais si pour obéir à sa « nature », toute femme doit être mère, certaines  ne se sentirent-elles pas obligées d’être mères, sans en avoir le désir ? Dans ce cas, la maternité est vécue sous le signe de la culpabilité et de la frustration. Cherchant à imiter ce rôle de « bonne mère », que fut leur vie, et celle de leurs enfants ?

 

 

 

. Elargissement des responsabilités maternelles :

 

1. la mère éducatrice : citation du docteur Brochard (XIXe) : « Puissé-je vous démontrer que l’amour maternel, qui se lie d’une manière si intime aux besoins du nouveau-né, se lie d’une manière non moins étroite aux intérêts sacrés de la famille et de la société ». Amour maternel = bien élever son enfant. Mère = « l’éducateur premier et le plus nécessaire », incarnation de la vertu, de la bonté, du courage, de la douceur, « modèle vivant » pour son enfant, « grâce apaisante du foyer ».

 

2. la mère institutrice : couvents fermés sous la Révolution, aux mères d’instruire leurs enfants, mais quelle était leur formation intellectuelle ? /  Devenir institutrice de son enfant, « mère spirituelle », son inspiratrice, sa conseillère, sa confidente. /  Instruire les jeunes filles pour garantir leur moralité, leur donner le goût du travail, et surtout celui de la maternité. /  Les bonnes mères sont des « institutrices-nées », « la mère doit être la première institutrice de ses enfants et l’institutrice ne saurait concevoir une plus noble ambition que celle d’être une mère pour ses élèves ». / Création de l’école maternelle en 1848, pour « pallier la maternité déficiente des femmes obligées de travailler ». Le but est de « former une petite fille qui devienne à son tour une bonne mère, éducatrice et institutrice. L’éducation des femmes n’a toujours pas sa finalité en elle-même ». Surtout pas de femmes savantes !

 

En décembre 1880, Jules Ferry déclare : « il y a aujourd’hui une barrière entre la femme et l’homme, entre l’épouse et le mari … une lutte sourde mais persistante entre la société d’autrefois … qui n’accepte pas la démocratie moderne (les femmes) et la société qui procède de la Révolution française (les hommes) … celui qui tient la femme, celui-là tient tout, d’abord parce qu’il tient l’enfant, ensuite parce qu’il tient le mari … c’est pour cela que l’Eglise veut retenir la femme et c’est aussi pour cela qu’il faut que la démocratie la lui enlève ». Mais,  « Dans l’esprit des Républicains, le combat pour l’instruction féminine relevait davantage d’une stratégie anti-cléricale que d’une volonté de donner aux femmes les moyens de leur autonomie ». Opinion dominante hostile à celles qui faisaient de longues études, ou cherchaient à faire carrière (médicale ou universitaire).

 

Discours de R. Poincaré, peu avant 1914, à l’inauguration d’un lycée de jeunes filles : « Nous ne désirons pas, pour la plupart d’entre elles, que ce rêve (la carrière) devienne une réalité … Ce n’est pas dans le prétoire ou dans l’amphithéâtre que nous cherchons à orienter l’activité du plus grand nombre de nos élèves ; notre but … qu ‘elles deviennent plus tard des épouses dévouées, des mères attentives ». /  « idéal du juste milieu qui faisait de la femme instruite, la compagne et la conseillère de son conjoint, une bonne ménagère, une bonne mère de famille ».

 

 

 

. L’idéologie du dévouement et du sacrifice : Plus de responsabilités, donc plus d’indépendance ? Non ! : apologie du dévouement, du sacrifice et de la souffrance de la maternité (on a oublié le discours qui associait maternité et bonheur).

 

1. masochisme naturel … ou obligatoire : liste des devoirs de toute mère, qui tend à prouver que la nature (instinct maternel !) « avait besoin d’être épaulée par la morale ! ». Au thème de l’instinct se substitue celui de la morale. Au début du XXe, on considère que « toutes les mères ont la même « mission », toutes doivent « se consacrer entièrement à ce sacerdoce », « sacrifier leur volonté ou leur plaisir pour le bien de la famille » ; toutes enfin ne peuvent trouver leur salut « qu’en se dévouant à leur devoir maternel ». Ce dévouement sans bornes est « la douleur expiatrice » par excellence, celle qui permet à Eve de se transfigurer en Marie. » / Enfanter dans la douleur = dogme absolu, car ses douleurs la purifient. Que peut-elle attendre d’autre de ce monde-ci ?!

 

« Mais comment une femme saura-t-elle qu’elle a suffisamment expié et qu’elle s’est sacrifiée autant qu’il le fallait pour accomplir ses devoirs maternels ? La réponse lui est fournie par son enfant. Puisque le destin physique et moral de celui-ci dépend entièrement d’elle, il sera le signe et le critère de sa vertu ou de son vice, de sa victoire ou de son échec … il ne tient qu’à elle que son fils soit un grand homme ou un criminel ».       

 

2. de la responsabilité à la culpabilité : double conséquence : anathèmes jetés sur les mauvaises mères, malheur à celles qui n’instruisent pas leurs enfants. « Que l’enfant meure ou qu’il soit criminel, on sait à présent qui mettre au banc des accusés ». Qu’en est-il de la responsabilité paternelle ? Nulle ?

 


 

 

. Portraits de mauvaises mères : « Entre la sainte et la salope, il demeure un hiatus infranchissable ».

 

1. l’indigne : qui n’aime pas son enfant. Mi- monstre, mi-criminelle, « une erreur de la nature ». Insensible et cruelle, marâtre belle-mère ou mère de sang ?   / Balzac La Femme de trente ans ; Jules Vallès L’Enfant ; La Comtesse de Ségur  Les malheurs de Sophie ; Jules Renard  Poil de carotte.

 

2. l’égoïste : qui aime un peu son enfant, mais pas au point de se sacrifier pour lui. « Insouciante », « négligente », des classes supérieures  ou des plus déshéritées. Incapable de les élever correctement.

 

La travailleuse et l’amoureuse, immorale, qui ne fait pas passer son plaisir après ses devoirs.

 

3. la travailleuse : « Quels qu’en soient les motifs, le travail féminin est condamné par les moralistes qui admettent à peine qu’il puisse être une nécessité vitale ». Avant tout être mère, continuellement présente. Hypothèses ( salaire maternel, stérilisation des pauvres) abandonnées au profit du rappel du devoir de mère. Quant aux intellectuelles, elles « profanent l’amour, désagrègent la famille », monstrueuses elles sont à l’origine de tous les désordres de la société.

 


 

 

. Le déclin du rôle paternel : primat de la mère et retrait du père.

 

1. les justifications : manque de temps et de disponibilité d’esprit pour assumer une tâche éducative.

 

2. la démonstration : la « nature » de l’homme » exclut l’affection, justifie l’incompréhension et la sévérité, ne peut supporter la faiblesse des enfants. Seule la mère peut les comprendre.

 

 

. La fonction paternelle : « Si la nature a créé l’homme étranger à l’enfance et fait du couple mère-enfant une perfection en soi, la question se pose de savoir quelles sont exactement les fonctions du père ». Fonction importante ? à peu près nulle ? ou position moyenne ? Fin XIXe, certains insistent sur l’importance de l’affection père-enfant, des jeux avec son enfant, et appellent à une nouvelle paternité. Malgré tout, « il reste toujours, dans l’inconscient collectif, l’idée que l’élevage est avant tout l’affaire des femmes, que le père est plutôt son collaborateur que son associé à part égale et enfin que sa participation est moins nécessaire, plus accessoire ». Le père doit simplement montrer le bon exemple, être « un honnête homme et un patriote ».

 

l’Etat se substitue au père : du père « omniscient, tout-puissant, et toute bonté » du XVIIe, à celui du XIXe, pouvant être ignorant, faillible et méchant. C’est pourquoi, l’Etat s’intéressant à l’enfant, charge l’instituteur, le juge pour enfants, l’assistante sociale,  l’éducateur, de « remplir le rôle laissé vacant par le père naturel ». /  Substitution d’un « patriarcat d’Etat » au patriarcat familial. « L’école pour tous au XIXe siècle mit fin au mythe de l’omniscience paternelle, en faisant apparaître l’incapacité de certains pères à suivre les études de leurs enfants ou même à leur expliquer un de voir à la maison. Le père dut se résoudre à confesser « qu’il ne savait pas » ». /  En 1912, généralisation de l’ « enquête sociale » (police et « infirmières visiteuses ») pour juger de la « bonne moralité » du père. En réalité, « le redressement visé n’est pas seulement, loin de là, celui de l’enfant, mais celui de la famille ». Les parents peuvent être déchus de leurs droits parentaux (1889). / « Son autorité n’est donc plus absolue parce que directement de Dieu et confortée par le Roi, elle est à présent distribuée par l’Etat et surveillée par ses agents ».                  

 
Rôle du père = entretenir sa famille ; valeur du père =  bon travailleur / salaire ; fonction économique.

 

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