SUFFIT-IL D'ÊTRE DIFFERENT DES AUTRES POUR ÊTRE SOI-MÊME? décembre 2007

                                                       

Suffit-il : est-ce la seule condition,  seulement nécessaire pour…

Nécessaire : caractère de ce qui ne peut pas ne pas être.

d’être différent des autres :

Différence : - rapport d’altérité entre des choses qui ont des éléments identiques : « On appelle différent ce qui est autre tout en étant le même à certains égards : non seulement le même numériquement, mais en espèce, en genre, en analogie. » ARISTOTE ex : chien, loup, renard.

- en morale, le droit à la différence serait surtout le droit d’un individu ou d’une communauté à choisir ses valeurs, son genre de vie, contre une conformité imposée au nom de l’égalité. C’est ainsi que la différence sexuelle, celle des rôles féminins et masculins, est revendiquée dans l’égalité politique, sociale, professionnelle.

  Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines  L.M MORFAUX

 

Identité / Egalité / Différence : - identité s’oppose à différence. L’identité (du latin idem : le même), c’est d’abord une relation : deux choses sont identiques lorsqu’elles ont la même définition, partagent exactement les mêmes caractéristiques, les mêmes qualités. Mais, s’il continue d’y avoir deux choses, c’est qu’elles ne sont pas identiques sous tous les aspects, et qu’il subsiste au moins une différence. Car deux choses absolument indiscernables seraient une seule et même chose.

- Deux hommes sont identiques en cela qu’ils partagent l’humanité ; ils sont différents en cela qu’ils n’ont pas la même couleur de peau, la même taille, le même caractère, les mêmes qualités intellectuelles. Entre deux vrais jumeaux (patrimoines génétiques identiques), il reste une importante différence : l’existence. Elle constitue la différence essentielle entre les personnes.

- L’égalité n’est pas l’identité. Deux biens sont égaux lorsqu’on leur reconnaît la même valeur (ce qui ne les empêche pas d’être très différents) ; deux  personnes sont égales lorsqu’on leur reconnaît la même dignité (droits identiques). Sur quoi se fonde cette égalité ? Sur l’humanité (liberté, qui fonde la dignité), non sur l’identité de couleur, de taille, de pratique religieuse.

Les hommes peuvent donc différer sur de nombreux points et leur égalité  cependant être reconnue. Les animaux, qui par contre ne sont pas des humains, ne sont donc pas reconnus comme nos égaux.

                     Philosophie terminales L-ES-S  Editions Bréal

 

Autre : différent, dissemblable ; toute conscience qui n’est pas moi, tout homme par rapport à moi, alter ego, à la fois l’autre (conscience autre que la mienne) et le même (conscience comme moi, homme).

« Autrui, c’est l’autre, c’est-à-dire le moi qui n’est pas moi. »  SARTRE

 

pour être soi-même ?: objectif ou fin visée, mais que signifie « être soi-même » ? Etre soi-même s’oppose à être un autre, ne pas être ce que l’on est. Quand ne suis-je pas moi-même ? Submergé par les émotions (ex : colère), suis-je encore moi-même ?

L’intitulé du sujet sous-entend que la prise en compte des différences est une condition nécessaire de l’affirmation du moi, mais est-ce une condition suffisante ? Suis-je moi-même simplement en me distinguant des autres ?

 

Il semble qu’il suffise d’être différent des autres pour être soi-même. Je me distingue des autres par mon patrimoine génétique unique (sauf pour les vrais jumeaux), mon histoire, mes goûts, mes amitiés, mon amour… je suis moi-même, différent de tous les autres. Je ne me confonds pas avec tous les autres, me calquer sur leurs modes de vie, leurs goûts, leurs pensées serait me perdre moi-même.

Mais l’affirmation de cette différence essentielle suffit-elle à me permettre de savoir qui je suis ?

Chercher à s’affirmer en prenant le contre-pied des valeurs familiales par exemple, est-ce s’en distinguer pour devenir soi-même, faire exprès le contraire, est-ce affirmer son identité ou être toujours déterminé par sa famille ?

Seul au monde qui suis-je ?

Je peux cultiver toutes mes différences et toujours ignorer qui je suis vraiment. La relation à autrui n’est-elle pas constitutive de la conscience de soi ?

 

Question complexe de l’identité.

Elle signifie unité, globalité, totalité de nous-mêmes. Suffit-il d’avoir un corps, pour nous sentir être ce corps ?

Elle signifie aussi unicité, différence. Mais suffit-il de nous opposer aux autres pour nous distinguer ? Ne faut-il pas en même temps nous identifier, c’est-à-dire ressembler à des modèles pour être nous-mêmes ?

Enfin, elle signifie ipséité, ou permanence : je change, mais je demeure le ou la même. Comment me sentir à la fois différent en fonction de l’âge par exemple, et pourtant la même personne, qui vit ces changements ?

Identité physique et réalité biologique + identité psychologique et personnalité + identité sociale et profession + identité morale et valeurs + identité intellectuelle et idées. Problème de la recherche d’une cohérence entre toutes ces dimensions, pour « être moi-même », avec tout à la fois son unité et sa diversité, sa permanence et ses changements, sa cohérence et ses contradictions. Identité réelle ou idéale ?

 

 

Sans confrontation avec autrui, Robinson peut-il accéder à la conscience de soi et du monde ?

 

     La solitude n’est pas une situation immuable où je me trouverais plongé depuis le naufrage de la Virginie. C’est un milieu corrosif qui agit sue moi lentement, mais sans relâche et dans un sens purement destructif. Le premier jour, je transitais entre deux sociétés humaines également imaginaires : l’équipage disparu et les habitants de l’île, car je la croyais peuplée. J’étais encore tout chaud de mes contacts avec mes compagnons de bord. Je poursuivais imaginairement le dialogue interrompu par la catastrophe. Et puis l’île s’est révélée déserte. J’avançai dans un paysage sans âme qui vive. Derrière moi, le groupe de mes malheureux compagnons s’enfonçait dans la nuit. Leurs voix s’étaient tues depuis longtemps, quand la mienne commençait seulement à se fatiguer de son soliloque. Dès lors je suis avec une horrible fascination le processus de déshumanisation dont je sens en moi l’inexorable travail.

     Je sais maintenant que chaque homme porte en lui – et comme au-dessus de lui – un fragile et complexe échafaudage d’habitudes, réponses, réflexes, mécanismes, préoccupations, rêves et implications qui s’est formé et continue à se transformer par les attouchements perpétuels de ses semblables ; privée de sève, cette délicate efflorescence s’étiole et se désagrège. Autrui, pièce maîtresse de mon univers… Je mesure chaque jour ce que je lui devais en enregistrant de nouvelles fissures dans mon édifice personnel. Je sais ce que je risquerais en perdant l’usage de la parole, et je combats de toute l’ardeur de mon angoisse cette suprême déchéance. Mais mes relations avec les choses se trouvent elles-mêmes dénaturées par ma solitude. Lorsqu’un peintre ou un graveur introduit des personnages dans un paysage ou à proximité d’un monument, ce n’est pas par goût de l’accessoire. Les personnages donnent l’échelle et, ce qui importe davantage encire, ils constituent des points de vue possibles qui ajoutent au point de vue réel de l’observateur d’indispensables virtualités.

     A Speranza, il n’y a qu’un pointe de vue, le mien, dépouillé de toute virtualité. Et ce dépouillement ne s’est pas fait en un jour.Au début, par un automatisme inconscient, je projetais des observateurs possibles – des paramètres – au sommet des collines, derrière tel rocher ou dans les branches de tel arbre. L’île se trouvait ainsi quadrillée par un réseau d’interpolations et d’extrapolations qui la différenciait et la douait d’intelligibilité. Ainsi fait tout homme normal dans une situation normale. Je n’ai pris conscience de cette fonction – comme de bien d’autres -  qu’à mesure qu’elle se dégradait en moi. Aujourd’hui, c’est chose faite. Ma vision de l’île s’est réduite à elle-même. (…)

     Et ma solitude n’attaque pas que l’intelligibilité des choses. Elle mine jusqu’au fondement même de mon existence. De plus en plus, je suis assailli de doutes sur la véracité du témoignage de mes sens. Je sais maintenant que la terre sur laquelle mes deux pieds appuient aurait besoin pour ne pas vaciller que d’autres que moi la foulent. Contre l’illusion d’optique, le mirage, l’hallucination, le rêve éveillé, le fantasme, le délire, le trouble de l’audition… le rempart le plus sûr, c’est notre frère, notre voisin, notre ami, ou notre ennemi, mais quelqu’un, grands dieux, quelqu’un ! 

            Michel TOURNIER  Vendredi ou les limbes du Pacifique  1972

 

 

Ma conscience a-t-elle besoin des autres consciences pour se constituer ?

 

    C’est au cœur de la conscience singulière que se découvre pour Hegel un rapport nécessaire à d’autres consciences singulières. Le je pense n’est possible que si, en même temps que dans ma pensée, je suis en rapport avec d’autres pensées. Chaque conscience singulière est en même temps pour soi et pour autrui. Elle ne peut être pour soi que dans la mesure où elle est pour autrui. Chacune exige la reconnaissance par l’autre pour être elle-même, mais elle doit aussi reconnaître l’autre, parce que la reconnaissance par l’autre ne vaut que si l’autre est lui-même reconnu. C’est là que réside le dépassement de l’immédiat (pour Hegel, toute pensée est une pensée entre consciences ; elle est immédiate quand elle ignore cette relation entre consciences ; l’immédiat, c’est le cogito tout seul).     

                           Emmanuel LEVINAS  La mort et le temps  1975

 

 

 

Ethnocentrisme et racisme

 

     L’ethnocentrisme dérive d’une attitude très répandue, qui consiste à se croire meilleur que les autres – nous reprendrons plus tard la question de savoir d’où vient qu’une telle attitude soit si courante. Ce qui la rend possible, c’est, de toute évidence, l’existence de différences objectives entre les hommes et aussi entre les cultures. Un individu, membre d’un groupe ethnique donné, est donc ethnocentriste s’il considère la façon de vivre propre à son groupe comme la meilleure de toutes et les membres de son groupe comme les meilleurs des êtres humains. Cette attitude a souvent été considérée comme caractéristique de la mentalité européenne – particulièrement pendant l’ère coloniale, l’ère de la découverte des « sauvages ». En fait, ainsi que l’a bien montré l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, l’ethnocentrisme est une attitude universelle, présente dans toutes les sociétés, et plus particulièrement dans celles qui ont eu peu de contacts avec le reste du monde, bref dans les sociétés dites « primitives » - en désignant par là, sans aucune intention péjorative, les sociétés sans machinisme et sans écriture. L’ethnocentrisme est donc, à l’origine, une attitude de « sauvage » : le mot dont les Cheyennes se désignent eux-mêmes signifie « les êtres humains » ; les Indiens Guayakis s’appellent eux-mêmes les Aché, c’est-à-dire : « les personnes », bref, chacun se croit l’unique ou l’excellent. Et considère, par conséquent, les autres, comme des êtres vaguement inférieurs.

     Bien qu’incompatible, cela va de soi, avec toute appréciation objective de la diversité des cultures humaines, une telle attitude est si profondément ancrée dans l’inconscient des hommes qu’elle est difficilement maîtrisable. De surcroît, en règle générale, elle n’est guère dangereuse. Elle est fondée sur un refus des différences, et sur un sentiment de méfiance envers l’autre, dans lequel on voit toujours un étranger et peut-être un ennemi potentiel. Mais elle n’aboutit pas, normalement au désir de persécuter l’autre, simplement à celui de l’éviter. Nous en trouvons la confirmation dans la façon dont les groupes d’Indiens nomades, en Amazonie, font tout ce qu’ils peuvent pour éviter de se rencontrer au cours de leurs déplacements : chaque groupe considère les autres comme des ennemis en puissance, mais ce que cette fiction d’un « état de guerre » permanent permet en fait de réaliser, c’est en raison de la rareté des rencontres, la rareté des cas d’affrontements physiques effectifs, donc de guerre réelle. Bref, c’est plutôt un système de « coexistence pacifique ».

     Quant aux Européens ou aux Occidentaux en général, leur ethnocentrisme repose, lui aussi, sur l’existence de différences réelles, et ne porte en soi aucune intention agressive. En ce sens, il porte peut-être en germe une condition nécessaire du racisme, mais il n’en est nullement la condition suffisante. Tous les ethnocentristes – c’est-à-dire finalement tous les hommes, ou à peu près – ne sont pas racistes. Pour qu’on passe de l’ethnocentrisme au racisme, il faut et il suffit qu’aux différences objectives s’ajoute, dans l’esprit du raciste, une différence imaginaire : la conscience, nécessairement fausse, d’une différence biologique entre sa victime et lui-même.

     Et le cas échéant, par voie de conséquence, désir de détruire ces différences ; car pour un raciste du type hitlérien, l’homme qui diffère biologiquement de moi n’est pas vraiment un homme, c’est un hybride – un mélange d’homme et d’animal -, bref c’est l’animal. J’ai donc le droit de le tuer si cela m’arrange ; j’en ai même le devoir s’il me menace. Le refus de l’autre ne suffit pas à faire le racisme, mais le racisme implique nécessairement le désir de rabaisser l’autre. 

                                          L. POLIAKOV   Le Racisme  1976

 

Image de l’altérité, de la différence, mais aussi révélation de nos propres contradictions internes, pourquoi l’autre est-il, à ce titre, le destinataire de notre agressivité ?

 

     Etranger : rage étranglée au fond de ma gorge, ange noir troublant la transparence, trace opaque, insondable. Figure de la haine et de l’autre, l’étranger n’est ni la victime romantique de notre paresse familiale, ni l’intrus responsable de tous les maux de la cité. Ni la révélation en marche, ni l’adversaire immédiat à éliminer pour pacifier le groupe. Etrangement, l’étranger nous habite : il est la face cachée de notre identité, l’espace qui ruine notre demeure, le temps où s’abîment l’entente et la sympathie. De le reconnaître en nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même. Symptôme qui rend précisément le « nous » problématique, peut-être impossible, l’étranger commence lorsque surgit la conscience de ma différence et s’achève lorsque nous nous reconnaissons tous étrangers, rebelles aux liens et aux communautés.

     L’ « étranger », qui fut l’ « ennemi » dans les sociétés primitives, peut-il disparaître dans les sociétés modernes ? Nous rappellerons quelques moments de l’histoire occidentale où l’étranger a été pensé, accueilli ou rejeté, mais où aussi la possibilité d’une société sans étrangers a pu être rêvée à l’horizon d’une religion ou d’une morale. La question, encore et peut-être toujours utopique, se pose de nouveau aujourd’hui face à une intégration économique et politique à l’échelle de la planète : pourrons-nous intimement, subjectivement, vivre avec les autres, vivre autres, sans ostracisme mais aussi sans nivellement ? La modification de la condition des étrangers qui s’impose actuellement conduit à réfléchir sur notre capacité d’accepter de nouveaux modes d’altérité. Aucun « Code de nationalité » ne saurait être praticable sans la lente maturation de cette question en chacun et pour chacun.

     Ennemi à abattre dans les groupes humains les plus sauvages, l’étranger devient, dans l’orbe des constructions religieuses et morales , un homme différent qui, pourvu qu’il y adhère, peut être assimilé à l’alliance des « sages », des « justes » ou des « naturels ». Dans le Stoïcisme, le judaïsme, le christianisme et jusqu’à l’humanisme des Lumières, les figures varient de cette acceptation qui malgré ses limites et ses défauts, demeure un rempart sérieux contre la xénophobie*. La violence du problème posé par l’étranger aujourd’hui tient sans doute aux crises des constructions religieuses et morales. Elle est due surtout au fait que l’absorption de l’étrangeté proposée par nos sociétés se révèle inacceptable pour l’individu moderne, jaloux de sa différence non seulement nationale et éthique, mais essentiellement subjective, irréductible. Issu de la révolution bourgeoise, le nationalisme est devenu le symptôme d’abord romantique, ensuite totalitaire, des XIXè et XXè  siècles. Or, s’il s’oppose aux tendances universalistes (qu’elles soient religieuses ou rationalistes) et tend à cerner, voire pourchasser l’étranger, le nationalisme n’en aboutit pas moins, par ailleurs, à l’individualisme particulariste et intransigeant de l’homme moderne. Mais c’est peut-être à partir de la subversion de cet individualisme moderne, à partir du moment où le citoyen-individu cesse de se considérer comme uni et glorieux, mais découvre ses incohérences et ses abîmes, ses « étrangetés », en somme, que la question se pose à nouveau : non plus de l’accueil de l’étranger à l’intérieur d’un système qui l’annule, mais de la cohabitation de ces étrangers que nous reconnaissons tous être.

     Ne pas chercher à fixer, à chosifier l’étrangeté de l’étranger. Juste la toucher, l’effleurer, sans lui donner de structure définitive. Simplement en esquisser le mouvement perpétuel à travers quelques-uns des visages disparates déployés sous nos yeux aujourd’hui, à travers quelques-unes de ses figures anciennes changeantes dispersées dans l’histoire. L’alléger aussi, cette étrangeté, en y revenant sans cesse – mais de plus en plus rapidement. S’évader de sa haine et de son fardeau, les fuir non par le nivellement et l’oubli, mais par la reprise harmonieuse des différences qu’elle suppose et  propage.                                  

             Julia KRISTEVA  Etrangers à nous-mêmes 1988

 

L’importance politique de l’amitié

 

     Nous avons coutume aujourd’hui de ne voir dans l’amitié qu’un phénomène de l’intimité, où les amis s’ouvrent leur âme sans tenir compte du monde et de ses exigences. Rousseau, et non Lessing, est le meilleur représentant de cette conception conforme à l’aliénation de l’individu moderne qui ne peut se révéler vraiment qu’à l’écart de toute vie publique, dans l’intimité et le face-à-face. Ainsi nous est-il difficile de comprendre l’importance politique de l’amitié. Lorsque, par exemple, nous lisons chez Aristote que la philia, l’amitié entre citoyens, est l’une des conditions fondamentales du bien-être commun, nous avons tendance à croire qu’il parle seulement de l’absence de factions et de guerre civile au sein de la cité. Mais pour les Grecs, l’essence de l’amitié consistait dans le discours. Ils soutenaient que seul un « parler-ensemble » constant unissait les citoyens en une polis. Avec le dialogue se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité propre. Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d’elles-mêmes), si imprégné qu’il puisse être du plaisir pris à la présence de l’ami, se soucie du monde commun, qui reste « inhumain » en un sens très littéral, tant que les hommes n’en débattent pas constamment. Car le monde n’est pas humain parce qu’il a été fait par les hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue.humain pour avoir Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n’est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous en en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains.

                                     Hannah ARENDT   Vies politiques  1974

 

     « Si je diffère de toi, loin de te léser, je t’augmente » Saint-Exupéry, Lettre à un otage.

 Cette évidence, tous nos réflexes la nient. Notre besoin superficiel de confort intellectuel nous pousse à tout ramener à des types et à juger selon la conformité aux types ; mais la richesse est dans la différence.

Beaucoup plus profond, plus fondamental, est le besoin d’être unique, pour « être » vraiment. Notre obsession est d’être reconnu comme une personne originale, irremplaçable ; nous le sommes réellement, mais nous ne sentons jamais assez que notre entourage en est conscient. Quel plus beau cadeau peut nous faire l’ « autre » que de renforcer notre unicité, notre originalité, en étant différent de nous ? Il ne s’agit pas d’édulcorer les conflits, de gommer les oppositions ; mais d’admettre que ces conflits, ces oppositions doivent et peuvent être bénéfiques à tous.

     La condition est que l’objectif ne soit pas la destruction de l’autre, ou l’instauration d’une hiérarchie, mais la construction progressive de chacun.

                       Albert JACQUARD  Eloge de la différence   1978

 

 

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